Harcèlement vache #13

« Maman m’a dit si il y a des pauvres
C’est qu’ils ont mal travaillé à l’école
C’est pas d’sa faute sa mère racontait le même genre de merde à ses gosses
C’est pas d’sa faute sa mère, bref
Faut qu’on brise ce putain d’cercle »

(Orelsan – Civilisation)

– Est-ce que vous avez l’impression d’évoluer depuis que nous avons entrepris cette thérapie ?
– Est-ce vraiment nous qui évoluons ou est-ce qu’on s’adapte aux évolutions de notre environnement ?
– Notre société regorge de croyances contradictoires. Le pluralisme est indépassable. Les jugements moraux sont en perpétuelle concurrence. Comme ils ne résultent pas de normes universelles mais de convictions personnelles, religieuses ou sociales, nous sommes livrés à devoir nous positionner en permanence. Une fois décrété, ce positionnement fait office de vérité indiscutable.
– Je comprends pourquoi vous avez choisi un métier où il faut plus écouter que parler. C’est so boring ce que vous racontez. Moi clairement il y a des situations où mon jugement a évolué. Exemple flagrant : le harcèlement scolaire. Dans ma classe, j’avais un Kevin, il était très maigre, le teint un peu jaunâtre, les dents bicolores et il faut bien l’admettre, une odeur corporelle suspecte. Son surnom est devenu : Qui pue. Le cerveau adolescent est rapide et méchant. Il frappe là où ça fait mal et il frappe fort.
– Et il vous a fallu du temps pour vous rendre compte que c’était méchant ?
– Non j’en avais conscience mais disons que je mesure aujourd’hui le niveau de violence et de méchanceté. Je me suis retrouvé dans plein de situations, où des gens se foutaient ouvertement de sa gueule. Ça me mettait dans un profond malaise mais je ne disais rien. Je rejetais même la faute sur lui en me disant « mais pourquoi il reste là ? Pourquoi il fait semblant de rire et de considérer comme ses potes ces mecs qui lui crachent dessus ? »
– On est plus sur un problème de lâcheté que de jugement moral. Vous aviez conscience du mal de la situation mais ne vous faisiez rien pour y remédier.
– Avant de promettre de ne plus me voiler la face sur les situations de harcèlement, je me permets une dernière crasserie en disant que je vais passer du Qui pue au cochon. Aujourd’hui, j’ai l’impression que notre rapport aux animaux est comparable à mon ressenti face au harcèlement. On a tous plus ou moins conscience que ce que nous leur faisons subir est moralement condamnable. On les traite comme des matières premières dans l’objectif d’obtenir un produit fini : la viande. Face à une vidéo d’abattoir, tout le monde va avoir un réflexe assez révélateur : se masquer les yeux, détourner le regard. En me rendant au boulot, je me suis retrouvé derrière un camion qui transportait des vaches. Ballottées dans le froid, sur une nationale à deux voies, étourdies par le bruit des moteurs, l’odeur des pots d’échappement, du goudron, je me suis demandé ce qu’elle comprenait de la situation. J’ai croisé le regard de l’une d’elle et je me suis senti bête.
– Un tête à tête entre bêtes. Vous n’aviez qu’à vous mettre en travers de la route et libérez vos congénères.
– Cette idée folle m’a traversé l’esprit. Mais ce n’est évidemment pas à moi, à nous d’agir. Comme pour la peine de mort ou le mariage pour tous, c’est au législateur de trancher. Les jugements moraux peuvent continuer de s’exprimer mais collectivement nous avançons, nous évoluons.

Mati.

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