Puis-je affirmer que je mens tout le temps ? #10

« Loin du mensonge, loin du mesquin,
Derrière mes ombres, j’essaie de faire bien »

(Disiz – Sublime)

– Existe-t-il un genre qui met plus en avant les valeurs de loyauté et de sincérité que les blockbusters américains ?
– C’est moi qui pose les questions.
– Vous n’êtes pas drôle. Je vais répondre à votre place : oui, la télé-réalité. Chaque passage des candidats face à une caméra est une surenchère pour expliquer à quel point il est sincère et que jamais, oh grand JAMAIS il ne trahira un ami (et on se rend compte dans l’épisode suivant que… ah bah en fait si)
– Vous êtes en train de confesser que vous regardez de la télé-réalité ou qu’il vous arrive de mentir ?
– Les 2. Il est dur d’être honnête sur son propre rapport au mensonge. Les menteurs clament dire toujours la vérité là où la franchise impose le doute permanent.
– Dans quel camp vous situeriez-vous ?
– J’ai beaucoup menti. Surtout à mes parents. Jamais dans le but de leur nuire mais plutôt de protéger mon image. Par exemple, je ne me voyais pas leur répondre par l’affirmative quand ils me demandaient « quand vous regardez Taxi avec tes copains pour la vingtième fois de suite, est-ce que vous faîtes pause au moment où Marion Cotillard sort du lit pour espérer apercevoir un bout de sein flou ? »
– Pourtant la vérité est un impératif moral, en toute occasion et sans exception. Restons sur une situation similaire. Un dimanche soir, sur le canapé familial, vous regardez un film en famille. Une scène de sexe torride se dessine simultanément à une érection. Votre devoir moral est de le dire.
– Je préfère renoncer à la prétention de certains principes et ne pas assumer ce que je pense. Je passe par un chemin de traverse pour tenter d’arriver au même point d’arrivée. Exemple, plutôt que de dire « Maman je n’assume pas de mettre deux jours de suite un même pull », je préférais volontairement tâcher mon habit le matin avec du dentifrice pour forcer le changement.
– Mais quand cela fonctionne, on a envie de passer au niveau supérieur.
– Oui, et souvent les mensonges sont percés à jour. Et là, ça fait mal. Petit je vivais dans le besoin et mes parents n’avaient pas toujours les moyens de m’acheter des jouets (faux). Ok je recommence. Le coup du dentifrice ne me suffisait plus. J’ai eu envie d’un coup d’adrénaline, de tester mes limites. Quand j’étais à l’école primaire, c’était l’époque des Pokémon et des Digimon. Des grands du collège nous ont proposé un deal : si nous ramenions un Digivice (sorte de Tamagochi où il faut prendre soin d’un Digimon), ils nous l’échangeraient contre une carte Dracaufeu brillant. LA carte. Un autre copain nous a assuré : j’ai déjà volé des chewing-gum à Carrefour c’est super simple, tu ouvres le paquet pour enlever le code-barres, tu met les chewing-gum dans tes poches et tu ressors. Nous sommes partis direction la zone commerciale la plus proche. Niveau d’excitation au max. On a suivi le protocole, on a prit le Digivice, ouvert la boîte et le tour était joué. Facile. Sauf qu’en approchant de la sortie sans achat, on s’est rendu compte que plusieurs vigiles étaient en ligne devant. Bizarre. L’excitation a fait place à la panique. Les symptômes sont similaires mais le ressenti est beaucoup moins agréable. On a tenté de sortir plus loin. Les vigiles nous ont couru après (sûrement la scène la plus ghetto de ma vie). Notre insoumission a trouvé ses limites à cet instant. Nous n’avons par cherché à fuir, le stress est devenu paralysant. Ils nous ont tiré par le bras pour nous emmener dans une petit pièce jaunâtre. Dans un coin de la pièce, il y avait une petite télé qui diffusait des images du magasin en noir et blanc. Celui que j’ai identifié comme le chef de la sécurité est entré dans la pièce. Il était facile à distinguer, il était maigre avec une tête de méchant (l’inverse de ses sbires). Il nous a demandé de vider nos poches. On s’est exécuté avant qu’il n’ait le temps de finir se phrase. Il nous a demandé si nous savions pourquoi nous étions là. Silence. Il nous a expliqué que si besoin, il pouvait nous rafraîchir la mémoire en nous montrant les images. La police est venu nous chercher à Carrefour et ma mère au commissariat. Le policier, leader suprême de la morale m’a ordonné de regarder ma mère dans les yeux pour lui dire ce que j’avais fait. Faire face au mensonge dans les yeux larmoyants de sa mère, ça marque et ça sert de leçon. Un peu plus tard dans la journée, une gifle de son père aussi.
– Au moins la morale est sauve : il ne faut pas mentir.
– Ce n’est pas si simple. Mes parents ont dû payer le Digivice. 200 francs si mes souvenirs sont bons. Arrivés à la maison, ils se sont empressés de le mettre à la poubelle. Je n’ai jamais pu avoir mon Dracaufeu brillant. Aujourd’hui la carte se vend plusieurs centaines de milliers d’euros

Mati.

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